Pain de mie

Ca avait commencé comme ça.

Une soi-disant épidémie venue d’ailleurs, puis une « pandémie » mondiale comme ils disent.

Combien même c’était vrai, ici on était pas impacté.

C’était un printemps resplendissant dans notre village tranquille. Continuer la lecture de Pain de mie

Turdu-Kyia

Texte : Nekyia, récit d’un survivant (Hans Erich Nossack, 1955)– Extraits

Nekyia signifie sacrifice funèbre. Dans le IIème chant de l’ Odyssée, les âmes défuntes avides d’aspirer une dernière fois le parfum de la vie, se pressent autour d’une fosse remplie de sang. Voilà pour l’image antique. Le narrateur de ce roman paru en 1955 est seul, le seul être conscient parmi les épaves humaines, seul survivant dans une vaste cité où rien ne semble avoir changé, mais tout est désert, dépeuplé. On ne sait rien de ce que fut la catastrophe. L’annonce de la catastrophe a été l’apparition au dessus de la ville de deux grands oiseaux noirs. Les hommes ont vu le signe et n’ont pas su l’interpréter.
Extraits. Continuer la lecture de Turdu-Kyia

A quel moment on a perdu ?

Après le Grand Confinement, ça a chauffé. Oh ça oui, quand ils ont renvoyé les gens au turbin, ça a chauffé comme jamais. Pichenette les gilets jaunes à côté.

Faut dire que pas grand monde avait envie de retourner bosser comme ça. Pas tant pour les nouvelles conditions de travail de la Grande Reconstruction, le gouvernement savait manier la carotte avec des jolies primes. Mais c’est que les gens, ben ils flippaient du virus. Puis il y en avait pas mal qui avaient bien aimé rester confiné à la maison. Pas de rester enfermé chez eux, ha ça non. Mais de pas aller au boulot. Même dans les boîtes où ça reprenait, les grèves ont commencé : ici pour réclamer des primes, là des masques, ailleurs pour le licenciement d’un collègue. Continuer la lecture de A quel moment on a perdu ?

Mardi matin

« On est quel jour aujourd’hui ? » hurla la bonne femme qui était juste devant Philippe.

Tout le monde gueulait maintenant, même quand ce n’était pas vraiment nécessaire. C’était la nouvelle politesse, une manière de renforcer le fait que l’on respectait les codes, qu’on ne cherchait ni intimité ni complicité avec les autres.

« On est mardi ! » cria sa copine, derrière lui dans la queue pour la boulange. Continuer la lecture de Mardi matin

L’heure du changement a-t-elle enfin sonné ?

Victor savait. Il savait que ce jour allait arriver. L’effondrement de la société consumériste était inéluctable. Si la courbe du pic de l’épidémie faisait penser à celle du pic pétrolier, la pointe du pic représenterait aussi probablement le passage de la croissance à la décroissance, de l’exode rural à l’exode urbain, de la propriété privée à l’organisation collective…

Victor était heureux. Heureux d’être vivant dans ce moment historique, de pouvoir observer – et participer à – un bouleversement sans précédent. Continuer la lecture de L’heure du changement a-t-elle enfin sonné ?

Comme avant

6 mois. Déjà 6 mois que soit disant c’est fini le confinement et j’arrive toujours pas à savoir quand ça sera tout à fait comme avant. Enfin chais pas. D’un coté j’trouve que pas grand-chose a changé.

Y’a plus de monde dehors que pendant le confinement, c’est sûr. Pis y paraît qu’on peut se déplacer loin à nouveau. J’ai pas essayé encore, moi je bouge pas trop. J’trouve que les gens traînent moins dehors quand même. On dirait que tout le monde est un peu bloqué. Mais on dirait aussi que rien n’a changé. C’est bizarre. Continuer la lecture de Comme avant

Méfiez vous des catastrophes

Déjà six mois que ça dure. C’est lent, rampant et ça a l’allure d’un scénario raté. Pire qu’un film catastrophe de série B. Ça manque d’action, de flammes et de zombies. Qu’il se passe vraiment quelque chose bordel ! Rien. Six mois que le virus est présent, et on a appris à vivre avec. Déjà.

Au début, on misait sur un futur à la Orwell, que plus rien ne serait comme avant, qu’après le confinement on se réveillerait dans un monde différent. Ben on s’est planté. Parce qu’au bout de quelques mois, les choses se sont détendues. Ça s’est dégonflé comme ça. En tout cas ça avait l’air moins grave. Gérable. Continuer la lecture de Méfiez vous des catastrophes

Quand ils ont back tracké…

Quand le virus est apparu, je m’en foutais : c’était en Chine.
Quand il s’est répandu un peu partout dans le monde, je me suis claquemurée : pas de ça chez nous.
Quand ceux qui bossaient à Paris sont rentrés, j’ai hurlé au scandale : qu’ils gardent leurs saloperies de virus pour eux !
Quand ils ont envoyé l’Armée dans les quartiers, j’ai applaudi : il faut les faire rentrer dans leur trou, ces mal disciplinés.
Quand ils ont imposé le back tracking, j’étais pour : quand on n’a rien à se reprocher, on n’a pas de raison de s’en inquiéter.
Quand ils ont enfermé tous les malades, j’ai respiré : avec mon masque et mon appli, j’étais protégée.
Quand ils sont venus chercher tous ceux des groupes A et B, j’ai fermé mon smartphone et j’ai commencé à flipper mais il était trop tard. On frappait à la porte.

Isabelle Simon

Le cœur n’y est plus

C’était pendant le grand confinement de 2020.

Au début, pas mal de gens avaient pris la chose à la rigolade. Des groupes d’apéro à distance, des concours de chiottes customisées au papier toilette, des pages d’idées recettes de pâtes et pain maison s’organisaient sur les réseaux sociaux.

Certains devaient pourtant continuer à marner, dans les usines à bectance ultra-transformée et même sur les chantiers. Peut-être y avait-il à ces incohérences quelque raison cachée comme un bunker à terminer quelque part, ou le fils d’un ministre qu’aurait fait un caprice pour que l’usine Haribo soit déclarée d’utilité publique. Continuer la lecture de Le cœur n’y est plus

Déconfiné

6h : putain de réveil.

6h30 : bon je me lève. j’avale deux tartines, les 3 pilules réglementaires de vitamines et de propolines, je suis à la bourre, j’enfile mon masque FDP2 et je trace. demi tour, j’ai oublié mon putain de téléphone. sans ça j’irai pas bien loin. rien que pour prendre l’ascenseur, il y a leurs fichus qrcode.

6h45 : premier barrage, premier contrôle de la journée. la routine, prise de la température, vérifications des justificatifs de travail, les résultats de la dernière prise de sang. vu qu’un smartphone a été filé à chaque personne autorisée à se déplacer, les attestations de déplacement sont inutiles et les contrôles par bluetooth rapides. les flics savent déjà tout avant même de vous adresser la parole.

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