Comme avant

6 mois. Déjà 6 mois que soit disant c’est fini le confinement et j’arrive toujours pas à savoir quand ça sera tout à fait comme avant. Enfin chais pas. D’un coté j’trouve que pas grand-chose a changé.

Y’a plus de monde dehors que pendant le confinement, c’est sûr. Pis y paraît qu’on peut se déplacer loin à nouveau. J’ai pas essayé encore, moi je bouge pas trop. J’trouve que les gens traînent moins dehors quand même. On dirait que tout le monde est un peu bloqué. Mais on dirait aussi que rien n’a changé. C’est bizarre.

Je sais pas comment ça a été ailleurs, mais chez moi y’a jamais eu beaucoup de malades. Pas de cadavres dans les rues en tout cas, de dehors on pouvait croire qu’il se passait rien. Même mes parents y sont encore en vie, et pourtant y sont pas en forme ! J’ai eu quelques copains malades, même un qu’a du aller à l’hosto, mais bon ça s’est bien fini pour eux.

Chais pas si c’est qu’y avait pas des cadavres partout, mais on à eu droit pendant des mois à des types qui rabâchaient qu’y’avait pas de maladie, que tout ça c’était une arnaque pour nous priver de nos libertés. Ça m’a gonflé.

Déjà par ce que sérieux, t’as vu c’est quoi nos libertés ?

Pis bon moi la bourgeaille qui critique tout c’est comme les ingénieurs de l’automobile reconvertis à l’écologie dans des trucs où l’tiquet d’entrée c’est une vie de smic. Quand je suis en forme ça me fait marrer, pis quand mon cerveau fatigue ça me fait juste mal au crane.

Par ce que bon, quand tu te tapes 1h de tram bondé pour aller nettoyer des bureaux, quand tu passes ta journée dans un entrepôt à préparer des colis avec des collègues malades, quand t’as d’l’amiante plein les poumons ou que tu sais que tu peux pas tomber malade car t’es seule
avec tes gosses, bin le « c’est pas une vraie maladie » ça sonne bidon. Le truc c’est d’essayer de pas chopper cette merde, et essayer de tenir si tu l’as. C’est tout.

Sinon faut le dire franchement : « Y vivent moins longtemps, sont souvent tout niqués bien avant la retraire, de quel droit y r ‘fuseraient de tomber malades les prolos ? ». Oh, tu crois qu’on est du bétail ou quoi ? Pis l-argent-qu-est-une-énergie-qui-va-aller-vers-le-bio t’as fumé quoi ?
Sérieux…

Enfin voila quoi. A part tout un tas de discours plus ou moins relous et moins de monde dehors, j’trouve qu’il s’est pas passé grand-chose. Maintenant y parait que le pays est endetté et qu’il va falloir qu’on coûte moins cher. Bon ça c’est pas nouveau.

Pis bon en vrai, pour moi à l’usine rien n’a changé. Ni pendant le confinement ni après. Bon c’est vrai que l’hygiène on était habitués déjà. Pis y’a eu des p’tites évolutions. Un peu plus de place entre nous, un peu plus d’espace pour les pauses. Pas grand-chose quoi. Après le confinement par contre quelques collègues sont partis. Moins de travail, plus besoin d’eux. La crise. Moi on m’a gardé à la découpe des porcs. Parait qu’j’ai un bon rythme.

Y’a plus de chômage quand même, les anciens collègues y galèrent à trouver autre chose. C’est vrai qu’il y a pas mal d’entreprises qu’ont fermé. Des trucs en ville aussi. Pour moi ça change pas ma vie ça ; en ville on y va pas. Tout coûte cher là bas, et moi j’ai pas plus envie
de pleurer sur les restaurateurs ou les commerçants que sur les types qui râlent pasqu’y’a plus de touristes pour rembourser leurs crédits à leur place…

Je sais pas trop quoi dire d’autre sur le confinement et les moments d’après, mais c’que je sais c’est que si y’a un truc que je regrette c’est de jamais avoir été confiné tranquille. J’aurais bien apprécié de rester au pieu quelques semaines ! J’ai souvent mal aux coudes et aux épaules, et un peu de repos j’aurais pas craché dessus.

Enfin bon fallait bien continuer à faire marcher le pays. Pis comme ça j’ai pu continuer à me balader en bagnole entre l’quartier et l’usine, plutôt que rester coincé à l’intérieur avec les gamins.

Pis grace à mon taf on a pu payer les courses sans trop galérer, et au moins j’ai pu voir le printemps.

Parfois, le matin, j’avais même la route pour moi tout seul. Ça m’était jamais arrivé avant.

Camille